Jean Bonin sur la nationalité de Thiam : "Du fakirisme juridique"

Mardi 29 Avril 2025

Le juriste Jean Bonin qualifie de "fakirisme juridique" l'interprétation officielle sur la nationalité de Tidjane Thiam. Il affirme que l'ancien banquier est apatride depuis mars 2025.


Jean Bonin sur la nationalité de Thiam : "Du fakirisme juridique" © Crédit photo DR
"Une nationalité en hibernation n'existe pas dans notre droit". Cette affirmation de Jean Bonin résume sa critique de la position officielle sur le statut de Tidjane Thiam. Le juriste ivoirien vient de publier une analyse détaillée contestant l'interprétation du Directeur des Affaires Civiles et Pénales (DACP), qui soutenait lors d'une conférence le 28 avril 2025 que le président du PDCI aurait automatiquement retrouvé sa nationalité ivoirienne après sa renonciation à la nationalité française.

Dans ce document, Bonin s'attaque méthodiquement à la thèse défendue par le haut fonctionnaire selon laquelle Thiam, qui "était ivoirien par sa naissance, par le droit du sang, retrouve automatiquement sa nationalité ivoirienne qu'il avait volontairement mise en hibernation, en dormance". Pour le juriste, ce raisonnement ne s'appuie sur aucune base légale et relève d'une interprétation contestable du droit.

Le premier axe de critique de Jean Bonin porte sur les concepts mêmes utilisés par le DACP. "En raison de ce déficit de fondement légal ou jurisprudentiel, vous tentez de lui donner un semblant d'existence en créant pour l'occasion une neo notion de 'nationalité en hibernation' ou encore de 'nationalité en dormance'", écrit-il.

Pour étayer son propos, le juriste se réfère à l'article 48-1 du Code de la nationalité ivoirienne qui stipule sans ambiguïté que "PERD la nationalité ivoirienne, l'ivoirien majeur qui acquiert volontairement une nationalité étrangère". Il souligne que le texte ne fait "à aucun moment référence à une quelconque SUSPENSION temporaire de la nationalité ivoirienne" mais bien à une perte. Cette distinction entre perte et suspension n'est pas anodine dans son raisonnement juridique.

L'éclairage du droit comparé français

Jean Bonin utilise ensuite le droit français comme référentiel pour analyser la situation. "Notre Code de la nationalité est largement d'inspiration française. Essayons-nous donc à un exercice de droit comparé", propose-t-il, avant de citer l'article 24 du Code civil français selon lequel "la réintégration dans la nationalité française des personnes qui établissent avoir possédé la qualité de Français résulte d'un décret ou d'une déclaration".

Ce détour par le droit français lui permet de souligner qu'aucune réintégration automatique n'est prévue pour les personnes ayant perdu leur nationalité. "Celui qui a perdu la nationalité française doit poser un acte positif; en faire la demande. Cette demande peut d'ailleurs lui être refusée, quand bien même il a ses ascendants qui sont français", précise-t-il, contredisant ainsi directement l'automaticité défendue par le DACP.

Bonin s'attaque ensuite à l'argument du "parallélisme des formes" utilisé par le DACP. Il rappelle la définition juridique de ce principe : "c'est le principe selon lequel l'acte juridique doit être accompli selon les mêmes formes que celles requises pour son adoption". Mais pour lui, ce principe est mal appliqué dans le cas de Thiam.

"Dans un cas, il y a un acte positif d'acquisition par un ivoirien d'une nationalité étrangère qui lui a fait perdre sa nationalité ivoirienne. Dans l'autre cas, il s'agit non pas d'un ivoirien, mais d'un français qui renonce à sa nationalité française", explique-t-il. Cette distinction fondamentale invalide selon lui toute référence au parallélisme des formes. Il va jusqu'à qualifier cette approche de "fakirisme ou du contorsionnisme juridique".

Des faits qui contredisent la théorie

Jean Bonin appuie son analyse sur un fait concret : le rejet de la demande de certificat de nationalité introduite par le PDCI pour Tidjane Thiam. "Si comme le proclame le DACP, M. Thiam avait retrouvé automatiquement sa nationalité ivoirienne pourquoi alors lui avoir refusé ce certificat de nationalité ?", interroge-t-il, soulignant la contradiction entre le discours officiel et la pratique administrative.

Le juriste conclut sans détour : "d'un strict point de vue de la science juridique, M. Thiam est bel et bien apatride". Il précise toutefois que cette situation "n'est pas imputable aux autorités ivoiriennes" mais résulte de la décision des autorités françaises de le libérer de son allégeance sans s'assurer qu'il ne deviendrait pas apatride.

La conclusion de l'analyse de Bonin dépasse le cadre strictement juridique pour aborder des considérations politiques. "À la décharge du DACP, je peux comprendre que, pour sauver la face, les deux pays, la France et la Côte d'Ivoire, aient trouvé un modus vivendi pour régler l'imbroglio juridique", reconnaît-il. Mais il cite aussitôt Me François Serres : "quand la politique entre dans le prétoire, le droit sort par la fenêtre".

Face à cette situation, le juriste préconise "une abrogation pure et simple de l'article 48-1 querellé du CN" pour "éviter ce type de contorsions juridiques". Cette réforme contribuerait selon lui à "durablement préserver notre environnement politique et à consolider la relative cohésion sociale qui règne dans le pays depuis une quinzaine d'années", suggérant ainsi que la législation actuelle est devenue inadaptée aux réalités sociopolitiques de la Côte d'Ivoire contemporaine.

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